Topic outline

  • Introduction

    POURQUOI UN DICTIONNAIRE ACTUEL DE L’ÉDUCATION?

    Origine d’une lancinante problématique

    Un jour, le prince de WEI demanda à CONFUCIUS quelle serait la première loi que ce dernier édicterait si on lui confiait le pouvoir. Le philosophe chinois répondit qu’il s’appliquerait d’abord à définir les termes en usage à la cour parce que cette réflexion le rendrait plus sage et que la formulation des lois n’en serait que plus limpide. Un peu de confucianisme ne ferait pas de tort au milieu de l’éducation...

    Des considérations pratiques sont à l’origine des travaux qui ont conduit à la confection du Dictionnaire actuel de l’éducation. Au début des années 1970, alors que nous participions à des tentatives de renouveau pédagogique avec quelques dizaines d’enseignants, nous avons dû faire face à un obstacle majeur : l’imprécision du vocabulaire utilisé dans le domaine de l’éducation. Comment se comprendre lorsque la signification des termes est confuse? Comment interpréter convenablement les programmes d’études, les guides pédagogiques, les directives administratives et les documents ministériels lorsque les auteurs ne s’entendent pas sur le sens et la portée des mots? Dans une telle tour de Babel, comment concevoir des solutions aux problèmes scolaires sans disposer d’un langage collé à la réalité et qui sert d’outil de communication, de réflexion et de création?

    Malgré la consultation répétée de dictionnaires spécialisés et l’élaboration de glossaires maison, pour nous tous, à ce moment-là, le problème demeurait entier : la communication se révélait inefficace, la concertation, difficile et, il va sans dire, les résultats apparaissaient souvent douteux. Un premier sondage auprès d’un millier d’enseignants révélait que les termes apprentissage, éducation et pédagogie étaient, de leur avis même, au nombre des dix termes qui présentaient le plus d’ambiguïté dans le milieu scolaire... Jamais la fragilité de l’éducation ne nous était apparue aussi évidente. En toute naïveté, nous avions tous cru que l’éducation possédait son propre langage à l’exemple des disciplines scolaires que nous enseignions. Il faut dire que nos formateurs avaient passé sous silence une telle carence; eux qui, sans crier gare, imposaient à l’éducation la langue d’usage de la philosophie, de la psychologie, de la sociologie, de l’épistémologie ou de toute « autrelogie ». Jamais nous ne nous étions rendu compte que le domaine de l’éducation était à ce point envahi par les disciplines limitrophes. Peut-être fallait-il attribuer le phénomène au fait qu’encore en bas âge, l’éducation, tel un enfant, en était à constituer son vocabulaire de base... Encore faut-il qu’on lui permette de grandir et de s’exprimer!

    Une éducation de qualité ne doit pas se soustraire à l’obligation de constituer et de parfaire continuellement un vocabulaire qui lui soit propre. L’Organisation de coopération et de développement économiques y voyait même un impératif essentiel de L’enseignement dans la société moderne. Selon l’OCDE (1985) : « Les mutations qui sont intervenues dans la société et dans l’enseignement ont été si rapides que les concepts et les mots dont nous disposons pour y réfléchir et les décrire se trouvent dépassés. » Vingt ans plus tard, c’est encore vrai!...

    Dès 1974, nous avons entrepris une opération continue de recherche terminologique qui deviendrait un appui logistique essentiel, espérions-nous, à nos recherches et à nos enseignements. Dans UNE ÉDUCATION... à éduquer! (1979, 1981, 2001), nous décrivions, tel que nous l’avions expérimenté, l’état lacunaire du vocabulaire utilisé dans le domaine de l’éducation, ainsi que les incidences déplorables d’une telle déficience, jour après jour dans le milieu scolaire, sur la formation des éducateurs et les activités de recherche et de développement. Malgré les balbutiements, les entraves et les erreurs de parcours des cinq premières années, nos travaux se sont révélés prometteurs. Qui plus est, les résultats ont intéressé plusieurs enseignants et formateurs. Assisté d’un plus grand nombre de collaborateurs et mieux outillés pour poursuivre une recherche terminologique, nous avons planifié l’ensemble des travaux devant conduire à un but jugé alors utopique : « (...) l’éducation doit se doter d’une terminologie précise et évolutive dans le cadre d’une identification de son champ de connaissances. »

    Dans L’éducation totale (1983), il nous apparaissait que la recherche d’un langage propre à l’éducation, d’un vocabulaire rigoureux et libéré du charabia éducationnel, constituait la condition sine qua non pour que l’éducation devienne un domaine autonome d’études et d’activités aussi cohérent, utile, respectable et dynamique que les autres disciplines. En l’absence d’un tel préalable, toute tentative de renouveau pédagogique ne saurait connaître que des résultats mitigés et éphémères, si ce n’est tout bêtement qu’un échec manifeste et démobilisateur. On ne gaspille pas impunément des ressources sans avoir un jour à en payer le prix... Dans notre esprit, le vocabulaire devenait non seulement un outil d’affranchissement de l’éducation vis-à-vis des autres disciplines, mais encore un moyen capital de communication, d’innovation, de résolution de problèmes, de création, d’évolution, d’échange interdisciplinaire et même d’identité professionnelle.

    Après plus de trente ans de travaux, après le dépouillement et l’analyse de contenu de milliers de rapports, d’ouvrages et de monographies, après la collecte, la catégorisation et la gestion de dizaines de milliers d’éléments terminologiques, après une multitude de synthèses révisées et reprises par des experts de leurs domaines, et grâce à la participation de quelque trois cents collaborateurs, sans compter les avis et commentaires de nombreux lecteurs, voici donc la troisième édition du Dictionnaire actuel de l’éducation après une douzaine d’années de révision et d’enrichissement de l’édition précédente. Ce n’est pas de guerre lasse que nous avons décidé de sa publication... Nous avions atteint les objectifs fixés suite aux analyses des priorités, notamment pour parfaire les réseaux notionnels, les demandes successives d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs et de gestionnaires. (Voir Note liminaire). En outre, chacune des entrées retenues s’insère dans un réseau suffisamment explicite de termes et d’expressions pour permettre de la situer dans un contexte global. Enfin les nombreuses relectures de dizaines de spécialistes assurent, croyons-nous, la qualité du travail que nous vous présentons.

    Toute version d’un dictionnaire demeure néanmoins éphémère. Rien n’est définitif et actuel bien longtemps!... La publication permet d’accroître considérablement le nombre de lecteurs-réviseurs, experts en pratique scolaire, en recherche pédagogique, en gestion éducationnelle, en linguistique et en terminologie, et de parfaire ainsi les travaux devant un jour conduire à un vocabulaire davantage enrichi et efficace. Le dictionnaire est à l’exemple d’un coffre à outils où chacun des éléments doit s’insérer dans un ensemble cohérent, où chacune des composantes doit être la plus appropriée, la mieux affûtée possible. Une telle construction ne peut résulter que de l’effort collectif d’une vaste pluralité d’éducateurs de divers horizons. Afin de favoriser cette concertation, nous synthétisons dans ce qui suit la nature et le contexte d’élaboration du Dictionnaire actuel de l’éducation.

    Nature et contexte d’élaboration

    Qu’il s’agisse d’une discipline (biologie, informatique, philosophie, archéologie, écologie, etc.), d’un métier ou d’une profession (menuiserie, droit, mécanique, optométrie, médecine, etc.), d’un art (cinéma, théâtre, peinture, musique, etc.), d’un sport (football, planche à voile, natation, tennis, etc.) ou d’un passe-temps (lecture, travaux d’aiguille, philatélie, bricolage, etc.), tout champ de savoirs et toute sphère d’activités sont caractérisés par un ensemble de termes, d’expressions, de conventions et de symboles qui leur sont nécessaires et particuliers. Personne n’aurait l’idée de taxer les gens de ces divers domaines de snobs ou d’élitistes, ni de leur dénier le droit de disposer d’un vocabulaire qui leur appartienne. C’est pourtant ce que plusieurs refusent à l’éducation; on voudrait niveler son vocabulaire à la langue populaire, ou lui imposer celui des autres disciplines...

    Pourtant, au regard des personnes et des sociétés, l’éducation revêt une importance vitale. On a maintes fois reconnu en elle le catalyseur d’une réforme permanente de la société, le sens de la vie, la quête du bonheur, le besoin fondamental, le meilleur investissement d’une nation, la marque décisive de la civilisation, etc. Nul domaine n’exerce un rôle aussi déterminant que l’éducation pour le développement de l’être humain et l’essor de la société. Même pas l’économique... ou la politique!

    Quoiqu’investie d’une mission aussi sublime, l’éducation est pourtant victime de certains malaises, ce qui témoigne, en contrepartie, de sa fragilité et de son sous-développement. Dans tous les pays, on déplore les faibles résultats des systèmes éducationnels et la montée constante des échecs scolaires, notamment dans des matières aussi vitales que les langues, les mathématiques et les sciences. Abandons scolaires croissants, perte de confiance de la population et des gouvernements, chute du rapport qualité-prix, augmentation des maladies pédogéniques, tentatives infructueuses de redressements scolaires, voilà quelques autres affections dont souffre l’éducation présente. En dépit de ses graves problèmes, l’éducation se voit par ailleurs assigner des objectifs de réussite pour tous, de développement intégral, de formation globale. Pour tout être humain, le développement optimal de ses potentialités est, certes, un besoin fondamental et un droit capital; mais pour y parvenir, il nous faut une éducation elle-même développée, éduquée pourrait-on dire.

    Bien que l’on soit habituellement fort exigeant envers elle __ ce qui n’est pas un mal, mais une attitude tout à fait saine __ il faut quand même convenir que l’éducation, perçue en tant que processus et à titre de produit de cheminements multiples, est relativement récente. Alors que les autres disciplines comptaient déjà des siècles d’existence et d’évolution, ce n’est qu’au tournant du XXe siècle que le terme éducation s’est vu associer celui de développement. Et il n’y a guère plus d’un demi-siècle que l’on s’intéresse à l’éducation en tant que secteur autonome de la connaissance (les arts et sciences de l’éducation).

    Une réaction de catalyse se vérifie constamment : il existe une causalité logique entre la terminologie et l’évolution d’un domaine. Comme le souligne Émile BENVENISTE (1974) : « La constitution d’une terminologie propre marque dans toute science l’avènement ou le développement d’une conceptualisation nouvelle, et par là elle signale un moment décisif de son histoire. On pourrait même dire que l’histoire propre d’une science se résume en celle de ses termes propres. Une science ne commence à exister ou ne peut s’imposer que dans la mesure où elle fait exister et où elle impose ses concepts dans leur dénomination. » Pensons simplement à l’écologie et à l’informatique récentes.

    Contexte linguistique

    Notre démarche est également opportune sur le plan de l’aménagement linguistique, car elle contribue à contrer la « franglicisation » massive qui menace insidieusement l’éducation. Si le phénomène était déjà perceptible au début de nos travaux, le danger est encore plus présent aujourd’hui : l’éducation francophone s’inféode progressivement à l’anglo-américain.

    Depuis une trentaine d’années, la recherche en éducation a connu un essor important, notamment aux États-Unis, ce qui a favorisé l’apparition de termes et d’expressions dont les équivalents français sont souvent inconnus. Un travail constant et vigilant en matière de traduction et de néologisme s’impose à la francophonie. Isolés et laissés souvent à eux-mêmes, les éducateurs d’expression française en viennent, faute de mieux, à se forger un langage composé d’un amalgame de mots anglais entremêlés d’expressions traduites littéralement et entachées d’imprécision. La micro-informatique scolaire offre un exemple très éloquent. On désirerait se fermer à la richesse des données de la recherche étrangère que, d’une part, on s’appauvrirait considérablement sur le plan des savoirs et que, d’autre part, on en serait incapable, compte tenu de la puissance et de l’omniprésence actuelles des réseaux d’information.

    Entre la capitulation béate et le purisme stérilisant, il est important de demeurer maître de sa langue. Le poète québécois Gilles VIGNEAULT décrit ainsi la problématique : « Si vous allez chercher des mots américains et que vous les entassez n’importe comment, votre langue devient un terrain vague. Ce n’est pas seulement la langue française qui est en danger, c’est aussi la culture, la civilisation française qui est en passe de disparaître. (...) Parler français, avec les mots de notre langue, c’est une manière de penser, de refaire le monde. On ne trouve pas les mêmes solutions en français qu’en anglais à des problèmes humains, contemporains. Quand une langue se meurt, c’est une bibliothèque d’Alexandrie qui brûle. »

    Dans ce contexte linguistique particulier, ou bien les francophones abdiquent, s’anglicisent et s’amputent de leurs racines culturelles, ou bien ils imaginent et préconisent les moyens non seulement de survivre, mais de profiter de ces apports extérieurs pour développer encore davantage leur langue qui est l’expression même de leur identité. Comme la langue est la voie d’accès à une culture et que l’éducation est l’outil privilégié de transmission et d’évolution de cette culture, il faut que le français puisse proclamer l’éducation d’aujourd’hui et de demain.

    Renald Legendre
    Directeur
    Centre d’Études, de Recherches et de Consultations
    Lexicologiques en Éducation (CERCLE)
    Professeur émérite
    Université du Québec à Montréal
    C.P. 8888, Succ. Centre-Ville Montréal (Québec)
    H3C 3P8
    courriel : legendre.renaldo123@gmail.com